HAFID GAFAITI
vendredi 13 avril 2018 à 19 h.
Lecture & Rencontre
Du 13 Avril 2018 à 19h
Hafid Gafaïti
« Les braises de l’aube »
Espace de l’autre Livre.
C’est avec un réel plaisir que je me trouve ce soir en votre noble compagnie, plaisir décuplé d’ailleurs, car cette rencontre, non préméditée, ne se veut que le fruit d’un lien d’amitié entre poètes portant leurs regards dans la même direction.
Nous voici réunis autour d’une voix poétique majeure, une voix mémoire, une voix racine, mais également une voix espoir et transcendance, celle de la confiance.
Poète et ami pour la plupart d’entre nous, Hafid Gafaïti, je l’avoue m’a pris un peu de cours à son retour des Etats-Unis afin de lui rendre un petit hommage amical, mais il s’agit bien ici d’amitié entre poètes et d’une volonté d’ériger une passerelle entre l’Occident et l’Orient pour lutter contre l’obscurantisme et l’ignorance.
Afin de pouvoir l’aimer, le comprendre, il faut connaître l’autre et en cela le poète est une pierre angulaire de ce bel édifice que nous essayons d’ériger.
Ici, la poésie tisse sa crédibilité, sa signification vitale, extrême, elle vit et survit.
Elle va à l’essentiel et délie les consciences bonnes ou mauvaises.
La poésie, aujourd’hui plus que jamais, est un état d’urgence, une nécessité humaine, un acte à échelle d’homme lui restituant sa grandeur.
Mais faut-il vraiment des guerres pour révéler de grands et vrais poètes ?
Hafid Gafaïti qui était ami avec Kateb Yacine l’a entendu dire un jour que s’il n’y avait pas eu de guerre d’Algérie, vous savez celle qui n’a jamais dit son nom, que son ouvrage majeur « Nedjma » n’aurait jamais été écrit.
Même cas de figure pour Hafid Gafaïti, car s’il n’avait pas vécu et souffert de cette effroyable guerre civile, la pire de toutes les guerres, car fratricide, son ouvrage déjà très évocateur par le seul titre, « La gorge tranchée du soleil » n’aurait lui non plus jamais été écrit.
Les exemples du genre sont pléthores hélas, sur tous les continents.
Alors faut-il donc vraiment des guerres ou des révolutions pour que les grands poètes engagés se révèlent ?
La question reste en suspend, difficile, délicate, ambiguë, à laquelle je dis non, car la poésie est là justement pour que l’on assassine plus la beauté et que l’on anoblisse la vie.
À ce titre, écoutons le poète libanais bien connu, Adonis : « La poésie rend la vie sur terre plus belle, moins éphémère et moins misérable. La guerre lutte collective, relève de l’esprit du troupeau et fait régresser l’homme vers la barbarie et l’inhumanité. »
Ecoutons aussi le poète grec Odysseus Elitys : « La poésie corrige les erreurs de Dieu. »
Ainsi l’ouvrage qui nous rassemble principalement ici autour de notre ami Hafid Gafaïti annonce tout le contraire et se voudrait être un appel salutaire et une inclinaison sur le silence.
Cet ouvrage remarquable est en fait un chant d’amour et le poème liminaire d’Hâfez de Chiraz en est l’évidente annonciation et avec lui nous franchissons les portes du silence avec ce rappel de Claude Lévi-Strauss : « Le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans lui. » Révélation prémonitoire ? Non ! Juste constatation d’un processus malheureusement déjà bien engagé par l’homme, cet entravé de la conscience et handicapé du bon sens.
Hafid Gafaïti le confirme, l’univers, la nature sont garants de sagesse et nous replacent, grotesques que nous sommes, face à nous-même, alors qu’un grain de sable porte l’éternité et pour le poète, peut donner naissance à ses mots au-delà du non-dit, du non-évoqué.
Il arrive parfois que le langage d’Hafid Gafaïti nous entraîne dans un labyrinthe au risque de nous égarer afin de mieux nous retrouver.
Certains de ses textes contiennent la densité initiatique d’un haïku mais ne nous y trompons pas, il est plus délicat de toucher à l’essentiel que de sombrer dans le piège du dithyrambe.
Il est inutile parfois de prétendre nommer, Hafid Gafaïti le sait : « La terre était précieuse elle n’avait pas de nom »
Discrète, la femme est bien présente dans l’œuvre de notre poète car il la sait porteuse de l’annonciation des mots de demain, ceux d’un devenir possible, que seul l’homme simple saura comprendre.
Hafid Gafaïti sait et se méfie de la « vanité lucide de la poésie », c’est bien pourquoi il n’en préserve que l’essentielle substance, tout en étant conscient qu’il convient de demeurer dans la prudence des mots.
En homme sage, il reste attentif à la prophétie, au silence, à la flamme de chandelle si chère à Gaston Bachelard, ce merveilleux philosophe des poètes.
En passant par Jérusalem, Hafid Gafaïti rencontre symboliquement Bouddha au cœur de trois monothéismes de la discorde, alors il ferme les livres de la prière, des pleurs, des litanies, des lamentations et des promesses non tenues de l’insoutenable mensonge.
Chacun de ses textes pose la question du sens de l’existence, de la crédibilité du dit, du verbe dans un monde où tout n’est que falsifications.
Notre poète alors veut : « oublier les humains pour les aimer à nouveau. »
Chez Hafid Gafaïti, pas un mot de trop, les textes sont ciselés, polis, afin d’en mieux révéler l’intime de leur éclat, c’est une poésie qui exige de son lecteur d’être méritée, d’être perçue, d’être décryptée, elle ne s’offre pas comme une dévergondée, il faut la courtiser, c’est le prix de l’amour qui se doit d’être respecté et glorifié.
Cet amour s’appelle Poésie et c’est bien ce que vous êtes venus partager ici avec Hafid Gafaïdi, tout en sachant que l’acte de poésie est une respiration de l’âme et son élévation vers l’humanité et l’universel.
Michel Bénard.
Lauréat de l’Académie française.
Chevalier dans l’Ordre des Arts & des Lettres.
Poeta Honoris Causa.